Parfois la science, c’est un peu de l’ « à peu près »
- luciemcthel
- 30 juin 2024
- 5 min de lecture
Quel titre inquiétant, pourquoi la science serait-elle de l’à peu près, et pourquoi avoir confiance en la science si tel est le cas ? Parfois, il peut s’avérer difficile de répondre à une question car les données qu’elle nécessiteraient sont impossibles à obtenir. Mais restez tranquille, les approximations sont là pour nous aider, et elles fonctionnent plutôt bien !
Lorsque l’on travaille sur de grandes échelles spatiales (sur plusieurs continents par exemple), il peut devenir très couteux de collecter la même information partout. Si l’on travaille sur de grandes échelles temporelles cette fois (loin dans le passé ou dans le futur), cela peut être tout simplement impossible. C’est souvent le cas en écologie de la faune sauvage, et une façon pour les scientifiques de contourner ce type de problèmes est d’utiliser des simplifications ou des approximations.
Simplifier le problème
Une simplification permet de rendre un problème complexe moins difficile à formuler et à résoudre. En dynamique des populations par exemple (l’étude de la variation du nombre d’individus dans un groupe), on considère souvent qu’on a la même probabilité de revoir tous les individus qu’on a capturés précédemment. Je ne rentre pas dans les détails de la dynamique des populations, jetez un œil à l’article Les lions, c’est comme les souris si vous voulez un aperçu d’une des méthodes employées en dynamique des populations. Certains individus peuvent être ce que l’on appelle « trap happy », ce qui signifie qu’ils auront plus de chance d’être revus que les autres. C’est souvent le cas dans les études sur les rongeurs qui font appel à des pièges munis d’appâts. Cela est tout à fait inoffensifs pour nos amis les souris bien sûr : l’idée étant de capturer plusieurs fois les mêmes individus, les pièges ne menacent pas la vie des rongeurs, et les appâts servent simplement à augmenter les chances de capturer lesdites créatures à moustache. Certains individus seront ravis de bénéficier d’une petite collation supplémentaire même si cela implique qu’ils vont passer quelques heures dans une boite, alors que d’autres vont se montrer beaucoup plus timide et éviteront à tout prix de se refaire prendre.
Utiliser une variable alternative
Une approximation quant à elle, consiste à utiliser une variable de substitution. Lorsqu’on collecte des données sur le terrain, on a généralement une idée en tête. La collecte de données est faite de sorte à obtenir l’information qui permettra de répondre à une ou plusieurs questions précises. Mais parfois, on collecte de l’information supplémentaire, sans avoir une idée exacte de ce à quoi elle va servir. C’est ce qu’on pourrait qualifier de « recherche opportuniste ». C’est particulièrement le cas des projets à long terme, qui sont menés sur des années, voire des dizaines d’années. Certains programmes de suivi des populations de grands herbivores lancés dans les années 1950 sont encore en place aujourd’hui, comme celui étudiant les cerfs élaphes de l’ile de Rum, au large des côtes Ecossaises. Ces projets représentent une mine d’information d’une valeur inestimable, particulièrement pour aider à comprendre les effets des changements globaux. Lorsque ce type de projet démarre, on ne pense pas forcément à toutes les questions que pourront se poser les générations futures de scientifiques. Parfois, on dispose seulement d’une partie des données nécessaires pour explorer une nouvelle question : on se trouve alors dans une impasse. C’est dans ces situations (entre autres) que l’utilisation d’approximations, aussi appelés « proxies » par abus de langage, peut se révéler très utile.
Quelques exemples concrets
Prenons quelques exemples inspirés d’études réelles explorant le lien entre environnement et périodes des naissances chez les herbivores. Combinons cela avec le réchauffement climatique, et on obtient des questions telles que celle-ci : comment l’avancement de la date à laquelle la nourriture (soit, la végétation) est disponible affecte la période des naissances chez le chevreuil ? Pour répondre à cette question, il faut des observations de naissances qui remontent assez loin dans le temps. Cela tombe bien, c’est une variable collectée en routine depuis les années 1980 dans certaines régions en France. Maintenant, comparons l’avancement des dates de naissances avec l’avancement de la date à laquelle la nourriture du chevreuil devient disponible dans son environnement. C’est là que le bât blesse : pas de telle mesure disponible pour ce site d’étude… Mais ne nous démontons pas pour autant, des alternatives sont possible si l’on sait être créatif ! Les vignerons de la même région collectent des données sur la date de floraison du champagne depuis des années. Certes, les chevreuils ne boivent pas de vin, mais finalement, la vigne n’est pas si différente des autres plantes de la région. Le tour est joué, voilà notre proxy !
Le suivi annuel des chevreuils à Chizé et Trois Fointaines (France) permet de collecter des données sur la naissance et la survie des faons
Même question, chez le phacochère cette fois : comment la variabilité de la ressource alimentaire affecte la période des naissances chez le phacochère ? Pas facile de collecter des données sur la date à laquelle l’herbe commence à pousser en quantité suffisante pour un phacochère dans le Masai-Mara, au Kenya. Or, la croissance de l’herbe est très liée à la quantité de pluie, en particulier après la saison sèche. Un pluviomètre et le tour est joué, mesurons la pluviométrie plutôt que la quantité d’herbe !

Soyons encore plus large, et posons-nous la question vis-à-vis de tous les grands herbivores à travers le globe (pour lesquels on dispose de données de dates de naissances). Si l'on est chanceux lorsque l’on rassemble nos données, on disposera peut-être d’une date de floraison par-ci, de relevés de pluviométrie par-là, ou encore de mesures du volume d’herbe produite par unité de surface ailleurs. Mais malheureusement, rien de tout cela n’est comparable. On peut alors se tourner vers un indice quasi universel : le Normalised Difference Vegetation Index ! il s’agit d’un indice qui renseigne sur le degré de verdure, produit à partir d’imagerie satellite. Il est donc disponible à l’échelle de la planète entière, et ce tous les 15 jours avec une résolution de 250 mètres. Pas mal, non ?

Bon proxy, mauvais proxy
Donc un proxy, c’est une variable de substitution qui remplace une autre variable manquante ou difficile à collecter. Le problème est que bien sûr, plus on s’éloigne de notre variable d’intérêt, plus on augmente les risques que ce proxy représente mal celle-ci. Est-ce que le degré de verdure obtenu à partir d'une image satellite représente bien la quantité de nourriture disponible pour un chevreuil dans un sous-bois français ? Plus on s'éloigne de la variable originale, plus il peut être difficile d’expliquer le phénomène que l’on veut étudier. C’est pour cette raison que des études qui comparent les différentes variables, à plus petite échelle spatio-temporelle, sont régulièrement menées pour s’assurer de la validité de nos proxies.
Finalement, lorsque certaines informations sont manquantes en science de la nature, il faut savoir se montrer ingénieux et trouver des alternatives qui permettront de répondre à la question malgré les difficultés. Certes la science est parfois dans l’à peu près, mais elle n’en est pas pour autant facétieuse !
C'est tout pour ce mois-ci, à bientôt pour un prochain post !
Crédits photos : Lucie Thel, Wikimedia
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