Tinder pour mouettes
- luciemcthel
- 6 sept.
- 4 min de lecture
Eh oui, les mouettes aussi sont difficiles en amour ! Que ce soit pour éviter les risques de consanguinité ou pour maximiser les chances d’avoir des petits en pleine santé, les animaux vertébrés choisissent rarement leur partenaire au hasard. Mais pour les scientifiques, il est souvent bien compliqué de démêler les différents facteurs qui poussent vers un choix plutôt qu’un autre.
Le CMH, qu'est-ce que c'est?
Dans cette étude, je me suis intéressée au lien entre choix du partenaire et certains gènes responsables de l’immunité, appelé Complexe Majeur d’Histocompatibilité, ou CMH pour faire court, chez la mouette tridactyle. Le CMH est présent chez tous les organismes vertébrés (y compris les humains, où il est connu sous le nom d’antigènes des leucocytes humains, ALH) et permet à l’organisme de reconnaître les pathogènes et les parasites afin de mieux s’en débarrasser. On pourrait donc penser que plus on est capable de reconnaître des pathogènes et parasites différents, meilleures sont nos chances de survie. Mais dans certains cas, avoir un CMH trop divers peut entraîner des effets secondaires négatifs, comme des maladies auto-immunes. Finalement, un peu de modération n’est peut-être pas plus mal !
Ces constations ont donné lieu à deux hypothèses majeures en termes de choix du partenaire (il en existe d’autres, mais ce sont ces deux-là que nous avons explorées ici). L’hypothèse de la maximisation nous dit qu’on a tout intérêt à choisir un partenaire aussi différent de nous que possible en termes de CMH, afin qu’en héritant d’un mélange de notre patrimoine génétique et de celui de notre partenaire, notre progéniture soit capable de reconnaître autant de pathogènes et parasites que possible. L’hypothèse de l’optimum intermédiaire nous dit qu’il vaut mieux avoir un partenaire divers, mais pas trop non plus, afin d’éviter les risques d’effets secondaires néfastes chez nos petits.
Pour choisir le meilleur partenaire possible en termes de CMH, il faut pouvoir identifier ce CMH chez un partenaire potentiel. Il se trouve que la composition génétique d’un individu, en particulier les gênes qui ont trait à l’immunité, est associée à l’émission de certaines odeurs corporelles. Contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les oiseaux sont eux aussi capables de détecter ces odeurs, et tout comme les humains, ils préfèrent certaines odeurs que d’autres !
Fidélité chez les mouettes
C’est un bon début, mais il arrive qu’on fasse un mauvais choix. Que se passe-t-il si on a dit oui au mauvais partenaire ? Les mouettes tridactyles, comme beaucoup d’oiseaux de mer, sont généralement fidèles, ce qui signifie que lorsqu’elles trouvent un compagnon, elles peuvent le garder pour de longues années, parfois même toute leur vie… mais pas toujours. Eh oui, encore une fois comme chez les humains, les mouettes divorcent si leur partenaire ne leur convient pas !

L'étude
Revenons à présent à nos moutons, ou nos mouettes dans le cas présent. Sur l’île de Middleton, au large des côtes de l’Alaska, se trouve une tour de l’armée américaine abandonnée qui sert maintenant de nichoir à une grande colonie de mouettes tridactyles. Les chercheurs ont mis à profit cette installation depuis plusieurs dizaines d’années pour accéder facilement aux nids, et ainsi suivre la vie reproductive des mouettes : quelle mouette s’accouple avec quelle mouette au fil des années, combien d’œufs pondent-elles, combien de poussins survivent, quelle est leur composition génétique, et bien d’autres paramètres. En utilisant cette riche base de données, nous avons pu détecter que les mâles sont souvent en couple avec des femelles plus dissimilaires que ce à quoi on s’attendrait si le choix du partenaire était fait complètement au hasard. En revanche, il ne semble pas qu’être avec un partenaire peu dissimilaire conduise plus souvent à un divorce, et même en cas de divorce, les mouettes ne choisissent pas un nouveau partenaire plus dissimilaire que leur partenaire précédent...
Finalement, les mouettes tridactyles choisissent-elles leur partenaire en fonction de son potentiel immunitaire ? A ce stade il n’y a pas de réponse évidente. En effet, il a plein d’autres critères à prendre en compte lorsqu’on est une mouette à la recherche de l’âme-sœur. Est-ce que ce partenaire occupe un nid confortable et à l’abri des prédateurs, est-il en bonne santé, sera-t-il un parent compétent, sera-t-il capable de collaborer efficacement avec moi pour s’occuper des petits, … et puis finalement et simplement, qui est au bon endroit au bon moment quand je souhaite m’installer en ménage ! Toutes ces autres qualités ou caractéristiques jouent aussi un rôle important dans le choix du partenaire idéal, et des compromis sont souvent nécessaires, ce qui implique qu’il est parfois compliqué de tirer des vérités générales au milieu de tous les cas particuliers, surtout lorsqu’on a un nombre limité d’exemples.
Finalement, le lien entre CMH et choix du partenaire est un sujet très complexe qui occupe les scientifiques depuis des années. Il est souvent difficile de tirer des conclusions claires, surtout lorsqu’on étudie des animaux sauvages qui ne sont pas toujours faciles à observer et qui doivent faire face à de très nombreuses contraintes dans leur environnement. Notre étude nous a néanmoins permis de mettre en évidence que les mouettes ne semblent pas choisir leur partenaire complètement au hasard en ce qui concerne leur potentiel immunitaire. Tous les détails de nos recherches sont accessibles (en anglais) en libre accès ici, ou bien en accès restreint sur la page du journal Proceedings of the Royal Society ici.
C’est tout pour ce mois-ci, à bientôt pour un prochain post !
Crédits photos : Andreas Trepte (Wikimedia commons)
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