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Chamois, chaleur et randonneurs...

Un article accepté, c’est toujours une grande nouvelle ! C’est pourquoi ce mois-ci je déroge à la règle et je vous ramène en Europe pour vous parler de l’effet de la température et de la présence des randonneurs sur les rythmes d’activité des chamois dans les Alpes, qui était le sujet de mon article de master (oui je sais, c’était il y a très longtemps maintenant...) et qui vient tout juste d’être accepté pour publication !

 

 

En 2018, j’ai démarré mon stage de Master 2 au Laboratoire d’Écologie Alpine, où j’ai étudié pendant six mois l’effet des activités humaines sur celle des chamois. L’idée était d’évaluer si les chamois (plus précisément les femelles), qui sont connus pour avoir deux pics d’activités majeurs le matin et le soir, modifient l’heure et la durée de ces pics ainsi que leur niveau d’activité pendant la journée, la nuit et au crépuscule, selon leur exposition aux randonneurs et à la chaleur en été. Depuis cette époque, le projet a grandi, pris forme, et est maintenant prêt à être partagé avec la communauté scientifique sous la forme d’un article scientifique… et vous !

 

Interactions entre l’Homme et la faune sauvage

La question de l’effet de l’Homme sur la faune sauvage, que ce soit à travers son utilisation du territoire ou bien ses activités quotidiennes, est un sujet très étudié par les scientifiques et qui génère des résultats très variés. Ceux-ci peuvent aller de la facilitation (tels que les silures utilisant les sorties de barrages pour chasser en mettant à profit leur effet canalisateur sur le poisson), à des effets au contraire très néfastes (comme on observe chez les tétras qui fuient leur abri hivernal et consomment ainsi beaucoup d’énergie lorsque des skieurs passent à proximité), en passant par l’habituation (c’est le cas des bouquetins que l’on retrouve souvent prenant un bain de soleil à proximité des logements et résidences touristiques). La montagne a longtemps été un milieu préservé pour la faune sauvage, car difficile d’accès et peu propice au développement des activités humaines. Pourtant, depuis quelques décennies, les activités récréatives telles que la randonnée, le ski alpin ou le ski de fond se sont développées, et même si elles ne représentent pas une menace directe pour la faune, elles affectent néanmoins cette dernière. Dans cette étude, je me suis concentrée sur un mammifère herbivore très répandu dans les montagnes Européennes (que l’on retrouve aussi bien dans les Pyrénées que dans les Alpes en France), le chamois.

De gauche à droite : un groupe de chamois sur une falaise, différentes vues du massif des Bauges, dans les Préalpes Françaises


Colliers GPS, capteurs d’activité, compteurs de randonneurs et modèles météo… une multitude de données pour suivre les chamois en détails !

Depuis 2004, une partie de la population des chamois des Bauges, dans les Alpes Françaises, est suivie annuellement grâce à des colliers GPS qui fournissent des informations journalières sur leur localisation, ainsi que des capteurs d’activité (eux aussi positionnés sur ces colliers) qui informent sur la quantité de mouvement corporel qu’ils réalisent. Ceci permet de quantifier à quel point les chamois se déplacent, se nourrissent et interagissent entre eux, tout à la fois en une seule mesure. Pour ce qui est des randonneurs, nous avons considéré que ceux-ci étaient beaucoup plus souvent dans les alpages les week-ends et jours fériés que le reste du temps (pas facile d’aller randonner quand on travaille en semaine), ce que nous avons pu confirmer grâce à des compteurs du nombre de passages au départ des sentiers de randonnées. Nous avons aussi évalué les zones des alpages où les randonneurs étaient le plus présents lors de leurs randonnées grâce à l’application Strava, bien connue des amateurs de trail. Et pour ce qui est de la température, nous avons utilisé un modèle météorologique qui tient compte de l’altitude et des conditions locales pour calculer la température moyenne journalière. Ce sont toutes ces données qui nous ont permis d’étudier les variations d’activités des chamois en réaction aux variations de température et d’exposition aux randonneurs.

Un des fillets tombants utilisés pour les captures des chamois qui permettent de les équiper avec un collier GPS

Plus que les randonneurs, c’est la chaleur qui modifie l’activité des chamois

Nous avons ainsi observé, grâce à des modèles mathématiques qui nous aident à décrire les variations d’activité des chamois par rapport aux variations de température d’une part, et d’exposition à la présence de randonneurs de l’autre, que les chamois ont tendance à être actifs plus tôt le matin et à diminuer leur activité dans la journée tandis qu’ils augmentent leur activité nocturne et crépusculaire lorsqu’il fait très chaud. Tout est relatif bien sûr, chaud en montagne, cela veut dire qu’il fait plus de 15 ou 16°C ! Même si les chamois sont connus pour être résistants à la chaleur, ils ont eux aussi leurs limites et préfèrent se reposer quand il fait chaud. C’est probablement leur façon d’éviter les périodes de la journée ou la chaleur est la plus intense. En revanche, il semblerait que les variations d’exposition aux randonneurs n’aient que très peu d’effet sur l’activité des chamois. Seules les femelles les plus exposées ont tendance à diminuer la durée de leur pic d’activité le matin, mais seulement lorsqu’il fait très chaud. C’est donc une combinaison de facteurs qui cause cette réponse. Cela peut paraître surprenant cependant (les chamois et les randonneurs, une belle histoire d’amour ?), mais peut s’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord, il se peut que la quantité d’activité des chamois ne soit pas modifiée, mais qu’en revanche, le type d’activité le soit. Au lieu de passer du temps à s’alimenter, les chamois se déplacent pour éviter d’être en contact avec les randonneurs, par exemple. D’autre part, les randonneurs ne sont pas insensibles à la température, eux non plus. Il est toujours plus agréable d’aller randonner quand il fait beau ! Donc lorsque les chamois ajustent leur activité à cause de la chaleur, cela les protège par la même occasion des randonneurs qui sont plus nombreux à ce moment-là. Enfin, il se pourrait que les chamois soient si sensibles à la présence de randonneurs que même lorsqu’ils sont très peu dérangés, ils réagissent fortement. Un tel phénomène nous empêcherait de détecter une différence entre des chamois très dérangés et des chamois très peu dérangés, et un chamois pas dérangé du tout dans les Bauges, ça n’existe pas ! Voilà pour les grandes lignes. Tous les détails sur les résultats et interprétations de cette étude sont disponibles en libre accès (et en anglais) ici, ou bien directement sur la page du journal Animal Behaviour (bientôt en ligne, mais en accès restreint).

Un chamois se déplaçant sur une pelouse pentue des Bauges

Ainsi, la combinaison de différentes sources de données permet d’étudier des phénomènes complexes et reposant sur de nombreux facteurs. Pourtant, ce n’est pas suffisant et il est souvent difficile de tirer des conclusions fermes, surtout lorsqu’on étudie l’effet de l’Homme et de l’environnement sur le comportement des animaux. Chaque étude permet néanmoins d’avancer un peu plus dans la compréhension de ces mécanismes et d’ajouter une pierre à l’édifice. Pour ce qui est du chamois, il semblerait que préserver ce que l’on appelle des « refuges thermiques » (des zones où il fait moins chaud, telles que les pentes exposées Nord ou les forêts) et peu fréquentées par les humains soit un bon moyen de ménager la tranquillité de cette petite chèvre des montagnes...

Descente des alpages après une journée de terrain avec Juliette (Ecologue et biostatisticienne chez Dryas, France)


C'est tout pour ce mois-ci, à bientôt pour un prochain post !


Crédits photos : Juliette Seigle-Ferrand

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